La Belle Dame
Hommage à Francine Lancelot
Paris, Opéra-Comique
17 mai 2011
La critique complète et illustrée sur Dansomanie
Programmé en marge des représentations d’Atys, l’hommage à la chorégraphe Francine Lancelot, La Belle Dame, fait a priori un peu figure de lot de consolation pour ceux qui n’ont pas réussi à en être – de la recréation de l’opéra-ballet de Lully dans sa version de 1987 ou de l’événement culturo-mondain de ce printemps parisien qu’il constitue incidemment. Pour ce bref hommage d’une heure, la salle de l’Opéra-Comique est loin d’être pleine, on a convoqué les scolaires survoltés pour occuper le poulailler (on avait pourtant cru comprendre que la version «jeune public» – avec sous-titres explicatifs? – c’était pour la matinée…), et malgré tout, l’on sent l’enthousiasme du public, composé principalement du petit monde des afficionados de la danse baroque, un brin forcé dans ses bravos nostalgiques.
Faut-il le rappeler, Francine Lancelot, décédée en 2003, fut, dès la fin des années 70, la grande pionnière – en France tout au moins – de la redécouverte de la «belle danse», en accord avec un vaste mouvement qui affectait parallèlement l’interprétation musicale. Exploratrice d’un répertoire chorégraphique oublié et gommé littéralement par le romantisme, celui des danses de cour des XVIIème et XVIIIème siècles, Francine Lancelot créa également Ris et Danceries, compagnie qui s’occupa de faire revivre, par divers biais théâtraux, la langue baroque sur scène, perpétuée aujourd’hui, avec des fortunes diverses, par ses anciennes élèves et interprètes.
Béatrice Massin, qui fut l’une d’entre elles, reprend ainsi pour l’Opéra-Comique, en complément de la «résurrection de la résurrection» d’Atys, le flambeau de la restitution du répertoire baroque, délaissant là son écriture chorégraphique, située au confluent de la danse ancienne et de la danse contemporaine, pour régler cet hommage à la «Belle Dame» – autant qu’à la «Belle Dance» -, en forme de «morceaux choisis». Cinq danseurs de sa propre troupe, Fêtes Galantes, y participent, accompagnés de Sylvain Borruel, danseur du Ballet de l’Opéra du Rhin, qui, il faut bien le dire, est le seul à sublimer de manière véritablement personnelle l’exécution de ces danses, à la virtuosité indéniable mais jamais démonstrative. Pas de bavardages pieux ni de paroles superfétatoires durant cette petite heure, mais un spectacle qui décline un choix de solis, duos ou danses collectives, interprétés en costumes d’époque, pour la plupart traduits des notations chorégraphiques contenues dans les recueils de Pécour et de Feuillet, les deux principaux maîtres de ballet de la fin du règne de Louis XIV. Un extrait de la Sarabande pour Jean-Philippe Rameau, «La Gavotte et ses doubles», ainsi que «Les Caractères de la Danse», tiré du Bal à la cour de Louis XIV et choisi comme conclusion au spectacle, viennent toutefois rappeler que Francine Lancelot régla elle-même, «dans le style de», ses propres chorégraphies. Un petit montage sonore, fait de rires et de paroles brouillées, laisse de temps à autre entendre sa voix, sans vraiment perturber le cours du spectacle et le flot musical. Côté mise en scène, on ne passe pas non plus par quatre chemins : le plateau s’offre immédiatement au regard du spectateur dans la perfection hiératique du merveilleux décor d’Atys, cette antichambre d’un palais «Grand Siècle», assortie de deux mystérieuses portes en fond de scène, ouvertes à toutes les métamorphoses poétiques. Un écrin symbolique, mêlant simplicité et sophistication, destiné à exalter le plaisir conjoint de la musique et de la danse seules, à la manière d’un récital ou d’un concert de gala – le meilleur du baroque en quelque sorte.
Peut-être est-ce d’ailleurs sur ce dernier aspect que le spectacle en tant que spectacle démontre ses limites – le répertoire chorégraphique baroque, si peu spectaculaire pour un regard moderne, se prêtant mal à une démarche laissant prévaloir «la danse pour la danse». Si les danses qui composent le programme – certaines beaucoup plus que d’autres – conservent individuellement leur capacité formelle à charmer l’oeil, l’esprit et l’oreille, on peine en effet à y voir autre chose, lorsqu’elles se trouvent énumérées de la sorte une heure durant, qu’un florilège luxueux, mais un peu poussif, de beaux morceaux – une collection d’objets de musée mis en catalogue, ressortis à l’occasion d’une exposition de prestige – la recréation de la production mythique d’Atys. Les extraits se succèdent par ailleurs sans véritable pause ni transition, au point que l’on perd rapidement le fil de leurs origines respectives, malgré l’appui du programme. Traités comme des objets autonomes, ils souffrent finalement d’être privés du contexte spectaculaire et théâtral, voire féerique, qui les a fait naître et leur donne encore à l’occasion beauté et sens. Cette heure dédiée à la mémoire de Francine Lancelot, hommage certes, et sans prétention, simple petit espace réservé dans la programmation «concentrique» de l’Opéra-Comique, sonne alors à plus d’un titre comme dispensable, sinon comme anachronique, au regard de la conception générale du spectacle baroque. Faire revivre Atys dans sa splendeur originelle était sans doute largement plus probant.