Festival de musique baroque, Sablé-sur-Sarthe (25-29 août 2009)
Compagnie L’Espace
« Absent, je te retrouve »
28 août 2009
Compagnie de danse baroque l’Eventail
Voyage en Europe
29 août 2009
La critique complète et illustrée sur Dansomanie
Depuis sa création en 1979, le Festival de Sablé-sur-Sarthe, dédié au répertoire baroque, offre une place de choix à la danse – « la belle danse », comme on l’appelle traditionnellement -, au sein d’une programmation musicale toujours très dense et variée. Son académie annuelle accueille parallèlement de jeunes danseurs, au même titre que des chanteurs, des acteurs et des musiciens, pour des stages de formation et de perfectionnement en danse et en musique anciennes. Les lieux de la région où se tiennent les spectacles – idylliques et enchanteurs, à l’image d’une France rêvée – ajoutent du reste au charme d’un festival qui se veut particulièrement chaleureux et convivial.
28 août 2009 : « Absent, je te retrouve », par la Compagnie L’Espace
Pour sa 31ème édition, le directeur du Festival, Jean-Bernard Meunier, avait notamment choisi de donner sa chance à une jeune troupe encore peu connue, l’Espace, dirigée par Nathalie Adam et composée de danseurs formés pour la plupart au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris. C’est d’ailleurs là que Nathalie Adam, la chorégraphe, a reçu l’enseignement de Wilfride Piollet, une influence qu’elle juge aujourd’hui primordiale et qui a contribué, avant qu’elle n’aille l’approfondir sous d’autres cieux, à lui faire appréhender l’univers de la danse baroque. La créatrice et interprète d’ »Absent, je te retrouve » ne se retrouvait toutefois pas en terre inconnue à Sablé, puisque, en marge de ses activités chorégraphiques et pédagogiques, elle est membre de l’Eventail, la compagnie de danse baroque de Marie-Geneviève Massé, basée depuis plusieurs années dans la petite ville de la Sarthe et coutumière de son festival annuel.
Le spectacle chorégraphié par Nathalie Adam se présente formellement comme une série de variations autour de textes divers extraits de pièces ou de sonnets de Shakespeare – qui l’inspire jusqu’au titre même de l’oeuvre – et de musiques empruntées au répertoire de la Renaissance élisabéthaine. Durant un peu plus d’une heure, quatre danseurs – deux filles et deux garçons – se rencontrent, vivent, s’aiment ou se déchirent dans de petites saynètes centrées chacune autour d’un thème, d’une humeur ou d’une ambiance, suggérés simultanément par la musique ou le texte. Un personnage éminemment shakespearien, le Fou (un rôle créé à l’origine par Jean Guizerix et repris ici par Romain Panassié), qui vient s’adjoindre à ce quatuor de danseurs, constitue en quelque sorte le fil conducteur narratif et symbolique du ballet, le deus ex machina qui trace son chemin au long des différentes miniatures picturales et chorégraphiques qui le composent. Il est celui qui regarde le monde agir pour s’en faire le nécessaire commentateur, celui qui dénonce par le verbe, en un joyeux paradoxe, le théâtre des apparences, la folie des hommes.
Loin de se vouloir une tentative pittoresque de reconstitution historique d’un monde perdu, le ballet de Nathalie Adam s’offre à nous comme un spectacle impressionniste et d’allure résolument contemporaine, mais revendiquant ouvertement des influences puisées dans la peinture, la littérature et la musique de la Renaissance anglaise, dont la chorégraphie cherche à ressaisir le raffinement extrême, notamment dans le délicat travail des mains. La gestuelle est « baroque » dans son épine dorsale, mais en même temps revivifiée par un langage plus contemporain, tactile et souvent proche du sol. Et si les silhouettes corsetées, tout de noir vêtues, à l’image du clair-(très) obscur dans laquelle la scène reste plongée, suggèrent aisément la mélancolie propre au monde imaginaire baroque, ses éléments scénographiques rappellent tout autant des œuvres d’aujourd’hui, particulièrement celles de Jiří Kylian, un maître que cite volontiers la chorégraphe.
Si le projet se révèle séduisant, tant sur le plan esthétique qu’intellectuel, le spectacle, riche en soi de potentialités créatives, manque toutefois dans sa mise en scène et sa dramaturgie d’un certain sens de la nuance et du contraste – jusque dans le jeu très impersonnel des interprètes -, malgré les intentions affichées par le texte, la musique et la construction même de la pièce. C’est l’ombre, plutôt que la lumière, qui domine ici très largement – et pourquoi pas ? – mais de manière sans doute trop uniforme à l’échelle d’un ballet de près d’1h15. Le chatoiement baroque, celui que l’on retrouve encore au fond de la mélancolie qui inspire les airs de John Dowland, semble au final quelque peu monochrome, privée de son dynamisme interne, davantage peut-être à l’image de la tristesse romantique ou de la dépression contemporaine que d’un univers esthétique qui aime à se nourrir du conflit, de l’opposition… et de la surprise.
29 août 2009 : Voyage en Europe, par la Compagnie L’Eventail
La compagnie de Marie-Geneviève Massé, l’Eventail, avait ouvert la précédente édition du Festival de Sablé par la création du Ballet des Arts, une œuvre de Jean-Baptiste Lully, sur un livret d’Isaac de Benserade, qui retrouvait à cette occasion une nouvelle vie. Cette année, l’Eventail était chargé de clore le Festival, avec Voyage en Europe, un ballet en quatre tableaux offrant au public une promenade musicale et chorégraphique à travers l’Europe du Grand Siècle. Conformément à la coutume, c’est dans le parc du Château de Sablé que se tenait cet ultime spectacle – gratuit.
Le ballet de Marie-Geneviève Massé, interprété par sept danseurs de la troupe, était présenté ici dans une version particulière, adaptée aux circonstances quelque peu spartiates d’une représentation en plein air : point de décor donc et une musique enregistrée, en lieu et place des Folies Françoises, l’ensemble de Patrick Cohen-Akenine associé d’ordinaire à cette production, qui a vu le jour en 2000.
Les quatre tableaux qui composent l’œuvre nous conduisent successivement en France, en Angleterre, en Allemagne et en Italie, ressaisies en un instantané imaginaire et mouvant, celui d’un XVIIème siècle finissant, encore touché par la grâce. Au travers d’un choix musical en rapport intime et presque charnel avec le pays représenté, ces miniatures chorégraphiques, reposant chacune sur une ébauche d’intrigue théâtrale, tentent ainsi de restituer la saveur et l’esprit d’une contrée, en même temps que le style de danse qui lui est propre. Une sorte de recherche du temps perdu, usant de l’art de la belle danse comme d’un guide tout-puissant, au parfum entêtant… La France est ainsi vue au travers du ballet de cour, où chaque pas, chaque geste, chaque regard, à la fois mesuré, solennel et contraint, se veut le révélateur paradoxal de l’être de la personne. C’est du reste le seul tableau qui se donne comme reconstitution, puisqu’il s’appuie sur des chorégraphies de Pécour et Feuillet, extraites d’opéras de Campra, Destouches ou Lully. En contrepoint, l’Angleterre, placée sous les auspices de Purcell, donne lieu à une évocation d’un registre ouvertement dramatique, dans laquelle les corps semblent se libérer des contraintes de l’étiquette et de l’apparence pour s’ouvrir à l’expression débridée – et virtuose – des passions. L’Allemagne, associée à une sonate mélancolique de Rosenmüller, apparaît alors comme l’adage, le moment suspendu et détaché de la chair du monde, de ce drame en quatre actes. L’Italie, incarnée par Vivaldi, marque enfin le retour à la vie, à une vie se confondant avec le théâtre et l’illusion féerique présidant au carnaval de Venise, qui conclut, en forme de feu d’artifice symbolique, ce Voyage en Europe rêvé et fantasmé.
Au fil des tableaux, on retrouve mis en scène, de manière significative, un même couple de protagonistes – le Marquis et la Marquise de Sablé – choisi en quelque sorte comme fil conducteur et prétexte à l’exposé des différentes situations et ambiances nées du voyage. Sans doute ces saynètes sont-elles moins à voir comme des cartes postales, recourant au pittoresque du costume d’époque, que comme des images indissociables les unes des autres, se reflétant et s’appelant nécessairement, évocatrices enfin d’une même réalité, celle de cette « comédie aux cent actes divers » qu’est l’existence humaine. Mises bout à bout, appréhendées dans leur unité, à la manière d’un kaléidoscope, elles sont ainsi à même de nous faire éprouver, bien au-delà de la couleur locale, la coïncidence ultime des contraires et le chatoiement incessant propres au baroque.
Les danseurs de Marie-Geneviève Massé sont au demeurant merveilleux, d’une séduction toute juvénile et d’une harmonie remarquable dans les duos ou les ensembles, où, en dépit de l’effectif restreint, leur reflet semble pour ainsi dire se démultiplier dans la nuit à peine éclairée, comme pour les faire paraître plus nombreux. La virtuosité qu’ils montrent dans l’exécution de cette dentelle de petits pas – glissés, battus ou chassés – qui caractérise le langage chorégraphique est en soi remarquable, mais elle l’est surtout parce qu’elle demeure inséparable de l’expression théâtrale, toujours subtile. Le mouvement n’est en soi ni spectaculaire ni grandiose, mais il s’enrichit et s’embellit constamment de l’ornementation qui donne sens et étoffe à l’oeuvre. De la haute couture.