Paris (TCE) – Ballet-Théâtre de Saint-Pétersbourg – La Belle au bois dormant

La Belle au bois dormant
Ballet-Théâtre de Saint-Pétersbourg
Paris, Théâtre des Champs-Elysées
17 février 2011

La critique complète et illustrée sur Dansomanie

Le Ballet-Théâtre de Saint-Pétersbourg – SPBT pour les intimes – est vraiment une compagnie comme on n’en fait plus. A Saint-Pétersbourg, où elle est née par la grâce d’un homme d’affaire amoureux d’une ballerine, il lui arrive de se produire dans le lieu le plus charmant qu’on puisse imaginer, un délicieux théâtre de poupée situé dans le Musée de l’Ermitage. Mais sa vie, en réalité, c’est sur les routes du monde qu’elle la passe, six mois durant au minimum, déclinant de manière frénétique et avec une fidélité qu’on pourra juger d’ici bien monotone, les grands classiques de Petipa : Le Lac des cygnes – tube inusable de la troupe -, La Bayadère, Giselle, Casse-noisette, Don Quichotte, ou encore La Belle au bois dormant. Des compagnies russes de ce type, courant le cachet dans les provinces d’Occident, avec un répertoire bien circonscrit, il en existe bien sûr quelques autres. Mais c’est oublier que celle-ci a une raison d’être qui la distingue, son étoile, Irina Kolesnikova, autour de laquelle la compagnie s’est construite et gravite – dans un douloureux anonymat.

Pour la quatrième année consécutive, le SPBT nous revient au Théâtre des Champs-Elysées, avec comme nouveauté de la saison La Belle au bois dormant. On a beau garder un souvenir excellent de leur Don Quichotte, on se doute qu’avec La Belle, ballet d’apparat destiné à faire briller l’excellence et la sophistication des danseurs classiques, l’affaire est loin d’être emballée. Sans grande surprise, toutes les limites de la compagnie s’y font jour et Paris, blasé et repu, en a, malheureusement pour elle, vu bien d’autres. Question chorégraphie, le SPBT suit d’ordinaire les textes, plus ou moins simplifiés, du Petipa révisé par Serguéïev dansé au Mariinsky. Cette Belle, en revanche, naturellement signée sur le papier de Petipa, se démarque quelque peu des versions russes familières : certains passages, comme celui du Panorama, ont été tronqués ou raccourcis (on imagine, avant tout pour des raisons techniques), mais surtout, elle comporte des passages musicaux et des scènes de pantomime résolument inédits, mettant notamment en scène Carabosse (interprétée d’ailleurs avec une certaine finesse par Olga Yakubovitch) dans son antre (lors du Prologue et à la fin du tableau de la Vision).

Le plus dur pour les fans d’Irina, intérêt principal de la compagnie, c’est sans doute de devoir attendre ici un acte entier avant de la voir – enfin! – apparaître. Le prologue, alourdi par une pantomime omniprésente, pèche par un corps de ballet atone et des Fées à l’éclat modeste. On se languit gentiment en se délectant des toiles peintes et des merveilleux costumes de Galina Solovieva, riches, colorés, et toujours de bon goût – sans clinquant aucun. Evidemment, l’arrivée d’Aurore change formellement la donne. Bien qu’Irina Kolesnikova, du haut de sa féminité triomphante, ne soit pas une Princesse Aurore idéale, ni très crédible, elle joue à fond le jeu du glamour et de l’émerveillement et rayonne en véritable étoile au milieu d’une honnête compagnie aux allures provinciales, loin des standards imposés aujourd’hui par le Bolchoï ou le Mariinsky. Il faut reconnaître que le spectacle décolle vraiment à partir de là, et sans pour autant s’élever à des hauteurs vertigineuses de poésie, gagne en qualité dans les actes suivants. Kolesnikova danse l’Adage à la Rose comme d’autres prennent le métro et, à défaut du grand soir, on a la satisfaction de voir les variations virtuoses enlevées ici telles une formalité administrative – le raffinement de l’école russe en prime.

La Fée des Lilas, interprétée par Asthik Ogannesyan, qui nous avait particulièrement séduit en Myrtha et en Reine des Dryades les saisons précédentes, n’a pas ici une présence folle ni une aura très féerique, mais le corps de ballet, harmonieux et musical à la façon russe, est un bel écrin pour l’étoile dans la scène de la Vision. Evguény Ivanchenko, invité du Mariinsky pour accompagner la Princesse Irina, n’a de son côté pas grand-chose à démontrer, sinon ses lignes élégantes et un partenariat attentif et solide – et c’est bien suffisant! Le solo de violon, joué traditionnellement rideau baissé, s’il n’est pas le fait – on s’en doute – du plus grand virtuose de la planète, parvient même à racheter les faiblesses de l’orchestre, largement dépassé par la partition de Tchaïkovsky (mais dont on ne peut que louer la présence renouvelée, en lieu et place d’une bande enregistrée). L’acte III est finalement de tous le plus satisfaisant, et pas seulement pour le grand pas de deux final qui signe l’apothéose du couple principal : le quatuor initial des Fées, impeccable sur la forme, est d’une vivacité appréciable, la Princesse Florine, charmante et stylée, est précise dans ses articulations, et la Chatte blanche finalement assez drôle. Pas de quoi s’extasier outre mesure, mais il en ressort une harmonie – savant mélange d’élégance et de retenue pétersbourgeoises -, qui sauve malgré tout la production de la dérision.

Irina Kolesnikova (Aurore) © SPBT

Paris (Chaillot) – Ballet Biarritz – Magifique

Magifique (Tchaïkovsky Suites)
Malandain Ballet Biarritz
Paris, Théâtre National de Chaillot
10 février 2011

La critique complète et illustrée sur Dansomanie

Tout petit, Thierry Malandain a fait un rêve, et ce rêve s’appelle aujourd’hui Magifique. Avec son titre étrange et balbutiant – et sa lettre manquante qui semble ouvrir sur tous les possibles -, ce ballet en forme d’autobiographie déguisée tente de raconter l’émerveillement originel, celui d’un enfant dont les yeux fascinés découvrent pour la première fois l’univers de fantaisie des ballets classiques. Une petite madeleine chorégraphique en trois volets, un souvenir d’enfance plutôt doux qu’amer, que rythment naturellement les accords familiers de Tchaïkovsky.

Au départ, Magifique est un simple ouvrage de commande du Théâtre de Saint-Etienne. On attend là du chorégraphe une Cendrillon, et puis non, finalement, ce sont les suites de Tchaïkovsky tirées des ballets du compositeur (La Belle au bois dormant, Le Lac des cygnes et Casse-noisette) qui sortent de son chapeau pour servir d’écrin musical à sa dernière création. Construite autour de trois partitions fameuses, l’oeuvre n’est pourtant pas une relecture savante, psychologique, ou plus ou moins actualisée, des grands classiques de Petipa, à la manière d’un Mats Ek, elle s’offre plutôt comme une série de variations oniriques et légères sur des thèmes musicaux et chorégraphiques ancrés dans la tradition du ballet occidental. Le rêve est le ciment commun de ses trois actes, figuré ici par ces mystérieuses créatures de la nuit, toutes de noir vêtues, qui viennent introduire et faire le lien entre les différents tableaux, chacun dédié à un ballet de Tchaïkovsky. Pour cadre général à ce triptyque, un décor simple, épuré et miroitant, en perpétuel mouvement, dans lequel se faufile un duo récurrent, formé de Frederik Deberdt et Arnaud Mahouy, incarnant de manière symbolique le chorégraphe enfant, puis adulte. Les épisodes les plus célèbres des ballets de Petipa y sont repris, sans ordre spécifique ni logique proprement narrative, retravaillés dans une optique mêlant nostalgie, humour parodique et clins d’oeil amoureux.

D’un dispositif initial en forme de cube géant jaillissent des miroirs mobiles, puis des êtres apparaissent, courent, s’installent à la barre et se mettent à danser. Le coffre à jouets du songe ressuscite ainsi le souvenir primitif, celui d’un studio de danse, le lieu où tout commence pour n’importe quel apprenti-danseur ou chorégraphe. Cette première image, immédiatement parlante, ouvre sur l’évocation de La Belle au bois dormant. Des trois suites, c’était sans doute la plus risquée et, au final, c’est aussi la moins réussie. La chorégraphie, très physique et athlétique, voire acrobatique, notamment dans le passage revisité de l’Adage à la Rose, peine à ressaisir et à s’accommoder avec légèreté de ce sommet du ballet impérial, sinon sur un mode parodique qui frôle parfois la caricature. 

Dans Le Lac des cygnes, la distance humoristique revendiquée fonctionne en revanche de manière beaucoup plus convaincante. La chorégraphie dépasse là le formalisme du premier tableau, et le pur exercice de style néo-classique, plaisant mais somme toute un peu creux, se transforme en une relecture cocasse du ballet. On retrouve là la valse, un surprenant – et forcément incontournable – quatuor de Cygnes, dansé par quatre garçons, l’adage, ou encore les différentes danses de caractère, qui révèlent le talent particulier de Thierry Malandain à régler les ensembles. Les interprètes, avec leurs physiques très dissemblables – c’est le propre du Ballet Biarritz -, y brillent par leur dynamisme et un synchronisme musical qui n’a rien à envier à celui que l’on attend des meilleures troupes classiques.

Est-ce parce que Thierry Malandain s’était précédemment essayé à une relecture autonome du Casse-noisette, souvent reprise par la troupe, que l’ultime tableau apparaît comme le plus accompli du triptyque ? Cette variation libre autour de Casse-noisette est en tout cas un joyau d’inventivité, qui convoque même, en forme de clin d’oeil amusé – ou admiratif -, le traditionnel Défilé du Ballet de l’Opéra de Paris. La variation de la Fée Dragée, interprétée de manière significative par Frederik Deberdt, en profite pour nous rejouer l’air de la virtuosité et des applaudissements enthousiastes du public – comme au bon vieux temps disparu du ballet sur pointes. Par-delà l’humour un peu potache et le goût, très néo-classique, pour les références à l’histoire de la danse, ce précipité de Casse-noisette, à l’apparence légère et désinvolte, laisse finalement transparaître une nostalgie tenace.