Le Miami City Ballet à Paris – Soirée Balanchine / Taylor

Les Quatre Tempéraments / Promethean Fire / Thème et Variations
Miami City Ballet
Paris, Théâtre du Châtelet
12 juillet 2011

La critique complète et illustrée sur Dansomanie

Les programmes du Miami City Ballet se suivent et se ressemblent – un peu – avec la reprise, hier soir, des Quatre Tempéraments, couplé à deux nouveautés, Promethean Fire, de Paul Taylor, et Thème et Variations – Balanchine forever. Succès renouvelé pour la troupe du MCB et le festival des Etés de la danse : un public très enthousiaste, des spectateurs déjà « habitués » qui sont présents chaque soir ou presque, et une salle honnêtement bien remplie (si tant est que le Châtelet, avec ses aberrations, puisse être plein). Personnellement, j’apprécie énormément la variété de la programmation et l’alternance des affiches. Nostalgie d’un théâtre de répertoire…

On ne se lasse pas des Quatre Tempéraments interprété de cette manière. La troupe offre là une leçon de style et de musicalité, et même l’émotion – ce quelque chose de pas très balanchinien – n’en est pas absente. Tout le monde en fait, des solistes au corps de ballet, semble avoir quelque chose d’intéressant à dire ici et semble savoir également pourquoi il le dit. Ce n’est pas une leçon bien apprise, récitée de manière satisfaisante, présentant de belles lignes et des alignements propres, mais une pièce avec laquelle les danseurs paraissent vivre dans une véritable intimité stylistique et musicale, comme le Mariinsky de son côté avec un ballet comme le Lac des Cygnes. Bien loin d’être un pensum dépourvu de chair, la pièce prend vie grâce aux différents interprètes des « tempéraments », tous en adéquation avec l’humeur qu’ils sont censés représenter. Les solistes comme le corps de ballet possèdent à la fois la technique sèche et acérée, tout en angles, et la souplesse, le moelleux, la musicalité, qui conviennent à la pièce et la rendent excitante. Les déhanchés sont à l’unisson, jamais vulgaires, dans le trop ou le pas assez, les jambes se lèvent facilement, très haut, et dans une unité parfaite, comme le montrent les différents tableaux et surtout le final, superbe, qui réunit tous les danseurs. Kleber Rebello – stagiaire en 2010 et soliste en 2011, nous dit le programme -, est l’interprète à ne pas manquer dans « Mélancolique », peut-être la partie la plus intéressante du ballet. De près, il a vraiment l’air de sortir de l’école, mais pour le coup, sa danse, tout en gardant quelque chose de cette jeunesse chère à Balanchine, ne ressemble pas du tout à celle d’un élève sage et appliqué. Il est léger, d’une grande souplesse, possède un ballon et une petite batterie du feu de dieu, ses réceptions sont incroyablement nettes et précises, en plus d’être silencieuses… – un digne héritier d’Edward Villella en somme. Mais si les qualités proprement virtuoses, déjà déployées lors du gala d’ouverture dans Tarantella, contribuent à la réussite du solo, elles ne seraient rien s’il en usait simplement pour se contenter de briller. Or, elles sont vraiment mises au service du texte, tempérées ou équilibrées par un lyrisme des bras magnifique, un art consommé du déséquilibre et de la chute, et un sens abouti des poses, alanguies ou nerveuses, que dessine la chorégraphie. Je ne me souviens pas avoir jamais vu ce solo aussi magnifiquement interprété, et avec autant de nuances. Même si c’est lui qui sort du lot, par la maturité et la force de son incarnation, les autres solistes ne sont pas en reste, entourés par un corps de ballet parfaitement à l’unisson : Patricia Delgado et Renan Cerdeiro forment un duo véloce et harmonieux dans « Sanguin », Isanusi Garcia-Rodriguez, plus souple et délié que Yann Trividic, utilise à merveille ses talents dans « Phlegmatique », peut-être la partie la plus ingrate du ballet, et Adrienne Carter a ce qu’il faut, en termes d’attaque et de précision musicale, pour convaincre, essentiellement par la puissance de son style, dans « Colérique ». Bref, s’il fallait faire une sélection des ballets de cette tournée façon Guide Michelin, j’apposerais la mention « incontournable », en plus des trois étoiles réglementaires, à ces Quatre Tempéraments-là.

Je serai moins prolixe sur Promethean Fire, de Paul Taylor, qui me laisse assez sceptique. Du point de vue de la danse pure, la pièce se regarde sans déplaisir : c’est de la modern dance à l’américaine, dont le style peut nous paraître, vu d’ici, un peu daté -, qui permet d’admirer une nouvelle fois toute la cohérence de la troupe, dans des ensembles d’une magnifique architecture. Mais le propos politique, très circonstanciel et très premier degré, qui en a motivé l’écriture et lui sert d’argument, fait qu’on ne peut pas recevoir la pièce de manière détachée, comme un pur objet esthétique. On peut évidemment ne pas savoir, ou faire comme si l’on ne savait pas qu’elle s’inspirait de la catastrophe du 11 septembre, mais les académiques noirs, les portés et la gestuelle « avion », l’accumulation d’effets visuels qui évoquent l’idée d’un cataclysme, tels ces corps qui se croisent, éperdus, ou s’entassent, forment un faisceau de signes en soi bien lourdingues… que souligne à gros traits l’orchestration pompière et pompeuse de Bach qui l’accompagne, dont Haydn a dit tout ce qu’il fallait en dire (mais je doute fort qu’un orgue apocalyptique eût été de meilleur goût…). En bref, ce « feu promothéen » est au mieux une curiosité d’Outre-Atlantique, au pire, une pièce dispensable.

Thème et Variations est donné par le Miami City Ballet dans la production de Nicolas Benois (fils d’Alexandre Benois), qui est à peu près identique à celle du New York City Ballet, vue lors de la tournée de 2008 (le NYCB avait en fait donné Tchaïkovsky Suite n°3, dont Thème et Variations constitue le quatrième mouvement). Ce n’est pas exactement la production d’origine du ballet (Alicia Alonso en 1947!), mais une production attachée à une nouvelle version du ballet, recréé par Balanchine pour Barychnikov et Kirkland en 1970). Evidemment, d’un point de vue visuel, il vaut mieux être préparé à l’avance à recevoir le kitsch dégoulinant de sucre des décors et des costumes, en forme de pastiche gourmand de l’imaginaire impérial (peut-être plus près de susciter des ah? que des oh! chez les Parisiens…). Personnellement, j’aime bien ce genre de production historique, sans complexe, pleine de fantaisie théâtrale (d’autant que les costumes sont très, très joliment réalisés), même si j’apprécie aussi la version que danse régulièrement le Mariinsky – cycloroma bleu et tutus dans le style de Diamants pour des danseurs qui n’ont pas à prouver leurs quartiers de noblesse – d’une élégance sobre, sans doute plus en phase avec le goût actuel. Bref, on pardonnera volontiers à Jeannette Delgado la regrettable main posée à terre, impromptue et imprévisible, à la toute fin de l’adage, car pour le reste, elle s’est montrée brillante dans les pas de virtuosité comme à son habitude, le sourire rayonnant inclus, parfaitement secondée dans l’exercice par Renato Penteado qui, s’il n’a pas le charisme d’un Joaquin de Luz, est tout de même un excellent danseur. A vrai dire, je craignais un peu le côté terre-à-terre des troupes américaines dans cette pièce-hommage à la vieille Russie et aux ballets de Petipa, encore sensible dans le Ballet impérial de l’autre jour – pourtant pas sans qualités -, mais franchement, mes craintes ont été effacées bien au-delà de mes attentes. Le corps de ballet se révèle extrêmement soigné et bien éduqué, jusque dans l’adage, filles et garçons ne sont pas seulement jeunes, sympathiques et enthousiastes (ils le sont certes, mais bon, ça ne fait pas un Balanchine de cette eau…), ils ont aussi fort belle allure, tout cela saute et épaule joliment, en musique s’il vous plaît, et à vrai dire, les ensembles sont bien plus harmonieux et disciplinés que ceux que nous avait présentés le NYCB il y a trois ans. En résumé, mérite le détour, vaut le voyage et peut même contenter les palais les plus exigeants (les estomacs délicats préféreront toutefois s’abstenir).

Thème et Variations

Le Miami City Ballet à Paris – Soirée Balanchine / Tharp

Square Dance / La Valse / In The Upper Room
Miami City Ballet
Paris, Théâtre du Châtelet
7 juillet 2011

La critique complète et illustrée sur Dansomanie

Les programmes du Miami City Ballet se suivent et ne se ressemblent pas – du moins pour l’instant… Pour cette seconde représentation, découverte – ou redécouverte – de Square Dance et de La Valse, deux ballets de Balanchine qu’on a finalement peu l’occasion de voir à Paris, et du hit international de Twyla Tharp, In the Upper Room, jadis donné en ce même lieu par l’ABT. Une soirée qui laisse davantage admirer l’ensemble de la troupe, sa jeunesse et sa générosité collectives, que des solistes en particulier.

Square Dance appartient à la période « bleu ciel » (si l’on peut dire) de Balanchine. Dans ce ballet, seuls les deux solistes principaux, meneurs d’une danse dans laquelle les accompagnent six couples secondaires, se détachent, vêtus de blanc. Les filles portent tunique et jupette, les garçons collant et tee-shirt, tous strictement assortis. Square Dance est une nouvelle plongée du chorégraphe, au son de Vivaldi et de Corelli, dans les plaisirs – inépuisables – de l’académisme. Le ballet trouve en fait son inspiration structurelle dans les danses populaires anciennes, et notamment dans le fameux quadrille (traduction française de « square dance »), dont le principe est de mettre face à face des couples formant un carré. La source est évidemment détournée de manière ludique, car Square Dance n’a rien d’un ballet ethnographique, mais tout d’un ballet de Balanchine, réglé sur le mode de l’abstraction joyeuse. On retrouve certes, ça et là dans la chorégraphie, comme un air folklorique ou d’autrefois – les motifs géométriques que dessinent les évolutions du corps de ballet, les petits saluts que s’adressent les partenaires, les mouvements resserrés dans l’espace… -, mais la technique qu’il sollicite, défi au souffle et à la précision musicale, ressemble plutôt à un exposé du style du chorégraphe : bas de jambe extrêmement véloce qui tricote des pas en permanence, petits sauts, petite batterie, positions très croisées et épaulées… Les danseurs du Miami City Ballet se montrent vraiment là à leur meilleur et effacent les petites réserves qu’on pouvait émettre à leur sujet dans les ballets à plus gros effectifs comme Symphonie en trois mouvements ou Ballet impérial, aux lignes parfois défaillantes. Tout est impeccablement réglé, incroyablement musical, sans la moindre bavure, indépendamment même de la présence lumineuse de Jeanette Delgado, infatigable virtuose, bien accompagnée dans l’exercice par Renan Cerdeiro – tout juste 19 ans – complètement transformé depuis qu’on l’avait découvert à Lausanne en 2008. Un peu vert dans l’incarnation, son solo (on dit toujours, Balanchine, c’est la femme, preuve en est là que tel n’est pas toujours le cas), en l’occurrence un adage, apporte un contrepoint mélancolique à la tonalité guillerette de l’ensemble. On décèle en tout cas dans ce ballet toute la cohérence stylistique et musicale de la troupe – des danseurs aux physiques « moyens » et à la technique d’acier, qui savent danser « collectif » – dans une chorégraphie où la beauté des ensembles l’emporte finalement sur la personnalité des solistes.

La Valse offre une tout autre ambiance visuelle, chorégraphique et musicale. Ici, c’est plutôt le glamour hollywoodien, veine régulière d’inspiration du chorégraphe, qui est mis à l’honneur. Les hommes sont en frac noir, les femmes, couvertes de bijoux, portent de longs gants blancs et d’amples jupons de tulle rose et gris, qui créent un effet fabuleux quand elles dansent. Ces créatures de rêve évoluent dans un écrin à leur image : lustres dégoulinants, rideaux de velours… L’intérêt du ballet, chorégraphié sur deux partitions distinctes de Ravel, (les Valses nobles et sentimentales, suivies de La Valse proprement dite), c’est qu’il utilise ce kitsch de cinéma pour en faire le décor d’une variation, somme toute assez noire, sur le thème romantique de la valse fantastique. La première partie, plus impressionniste que véritablement narrative, voit évoluer un étrange trio de danseuses et une succession de couples, flirtant et s’enivrant dans les plaisirs de la valse. Un semblant d’intrigue se fait jour dans le second volet lorsqu’un homme en noir (non, nous ne sommes pas chez Patrice Bart!) fait irruption dans la salle de bal, tend un miroir à une femme vêtue de blanc avant de l’entraîner dans le tourbillon d’une danse macabre. On avait découvert ce ballet au Châtelet il y a quelques années dansé par le Mariinsky (avec Lopatkina en femme en blanc), dans la cadre d’un programme Balanchine. Souvenir lointain qui laisse apprécier pleinement l’interprétation qu’en donne le Miami City Ballet. La Valse est joliment et finement dansé, bien que le lyrisme des bras ne soit guère au rendez-vous, et les évolutions des danseurs, apparaissant puis disparaissant dans le tumulte d’un bal imaginaire, parfaitement synchronisées. Les nombreux solistes de la première partie peinent pourtant à se distinguer véritablement les uns des autres, si l’on en excepte Jennifer Kronenberg, romantique héroïne qui séduit une nouvelle fois par son élégance, et la figure de la Mort, interprétée de manière très convaincante par Isanusi Garcia-Rodriguez, danseur fin et longiligne, à la silhouette très plastique.

Peut-on encore parler de In The Upper Room sans tomber dans les borborygmes et les onomatopées? La salle finit debout, les danseurs, hilares et exsangues (mais ça ne se voit pas), ovationnés comme des rock-stars… Bref, tout est fait pour sidérer le spectateur. Et à vrai dire, ce qui importe ici, ce n’est pas tant la chorégraphie, d’une répétitivité assez confondante dans sa manière d’égrener tous les poncifs du jazz, que la performance que les danseurs offrent durant quarante minutes, au rythme de la musique rebattue, mais diablement efficace, de Phil Glass. In The Upper Room est un véritable marathon de danse, un crescendo hypnotique jusqu’à l’explosion finale, qui s’amuse en filigrane d’un certain culte effréné du corps sain et sportif. La scène, résolument vide, est plongée dans l’obscurité. Dans un simple habillage de fumigènes, façon clip-vidéo ou boîte de nuit, les danseurs évoluent dans des tenues de sport, qui conjuguent l’esthétique rouge flashy des années 80 à – peut-être? – quelques souvenirs hallucinés des Dalton, pour les pyjamas rayés dont ils se débarrassent progressivement – comme un acte de libération. L’interprétation est ultra-dynamique, menée tambour battant par Jeanette Delgado et quelques autres solistes, mais en même temps, on n’a jamais cette impression en les voyant d’une dépense excessive, d’une danse exécutée en force – ou qui tue. Tout cela est rendu plus cool et détendu que véritablement ironique et nerveux – plus Miami Beach au fond que New York City.

Jeanette Delgado, Square Dance © The New York Times



Le Miami City Ballet à Paris – Gala d’ouverture

Gala d’ouverture en hommage à George Balanchine et Jerome Robbins
Symphony in Three Movements / Afternoon of a Faun / Tarantella / Ballet Imperial
Miami City Ballet
Paris, Théâtre du Châtelet
6 juillet 2011

La critique complète et illustrée sur Dansomanie

On ne peut pas dire que les grandes compagnies américaines soient continument présentes à Paris, alors autant en profiter lorsque l’une d’entre elles vient pointer le bout de son nez… Ces dernières années, nous avons ainsi pu voir (avec des fortunes diverses) le San Francisco Ballet – c’était en 2005, pour la première édition des Etés de la danse, qui se tenait alors dans la cour des Archives Nationales -, l’American Ballet Theatre, venu au Châtelet en 2007, et enfin le New York City Ballet, invité par l’Opéra de Paris en 2008. En 2011, c’est le Miami City Ballet, sans doute la moins connue des « grandes », qui vient visiter Paris pour trois semaines, dans le cadre du festival des Etés de la danse. Une occasion d’ailleurs pour cette troupe, fondée et dirigée par Edward Villela, de fêter son vingt-cinquième anniversaire. Si l’on ne connaissait rien d’elle a priori avant ce gala, les échos semblaient plutôt positifs. Alastair Macauley, enthousiaste quand il le faut, ne craignait en tout cas pas d’écrire à son sujet en 2009 que « to watch it dance Balanchine is to see aspects of his choreography more clearly than with any other company today ». (« Finally Arriving in Manhattan, With Balanchine as Its Calling Card », The New York Times, 22/01/09)

Le spectacle d’ouverture de la tournée, dédié à Balanchine et Robbins, présentait un programme équilibré, avec deux courts duos en contrepoint stylistique (Afternoon of a Faun, à l’ambiance intimiste, et Tarantella, déploiement de virtuosité sans limite), coincés entre deux oeuvres plus conséquentes pour solistes et corps de ballet (Symphonie en Trois Mouvements et Ballet Impérial). Rien d’inédit là-dedans – on a pu admirer à l’occasion ces quatre classiques du répertoire américain dansés par d’autres compagnies – mais justement une bonne occasion de les voir interprétés différemment, et, peut-être, de manière plus authentique. Il est intéressant à cet égard de noter que cette compagnie, forcément très balanchinienne – mais pas seulement -, possède sa propre école, dirigée par Linda Villela, donc sa propre manière d’aborder le style et le répertoire du maître.

Symphonie en Trois Mouvements était l’un des joyaux de la dernière visite du New York City Ballet à Paris. L’oeuvre appartient à la veine tout à la fois stravinskyenne et « noir et blanc » de Balanchine – académique pour les filles, collant et tee-shirt pour les garçons – un noir et blanc parsemé d’un camaïeu de roses pour les trois solistes féminines. Avec un tel costume, interdiction de tricher. De fait, la chorégraphie est une sorte d’hymne joyeux à la géométrie. Tout semble ici une question de lignes et d’angles, droits ou obtus, de l’impressionnante diagonale initiale jusqu’aux flexions des pieds et des poignets et aux déhanchés qu’impose la chorégraphie aux danseurs, pris constamment entre en-dedans et en-dehors – on n’est bien sûr pas très loin de l’esthétique d’Agon. L’effet « ballet nautique », suggéré par certains drôles de mouvements de bras ainsi que par les touches de couleur des justaucorps des trois solistes, vient toutefois rompre avec l’abstraction austère attachée à ce Balanchine emblématique en noir et blanc. Plus que le pas de deux central, interprété par Katia Carranza et Carlos Guerra, qui manquait un brin de personnalité (difficile d’oublier là Wendy Whelan et Albert Evans), ce sont les ensembles qui saisissent le spectateur, le dynamisme et la musicalité qui les animent, bien soutenus par le corps de ballet, même si, pour ce premier coup d’essai, la rigueur des lignes et des positions n’est pas toujours au rendez-vous.

Afternoon of a faun, voilà un ballet qu’on a souvent vu dansé à l’Opéra de Paris du temps de la Robbins-mania, un peu tarie depuis plusieurs saisons. L’interprétation qui est donnée de cette miniature par Carlos Guerra et Jennifer Carlynn Kronenberg nous donne soudain à voir de l’exceptionnel après un début en demi-teinte. Lui est un Narcisse tout en finesse et elle a ce délié et cette élégance intemporelle des muses balanchiniennes. Le duo se présente comme une relecture urbaine du célèbre ballet de Nijinsky. La nature bucolique laisse place là à un studio de danse, lieu hautement théâtral, comme de nombreux ballets nous l’ont montré. Le dépouillement de l’espace, habillé de bleu et de blanc, met en valeur les deux interprètes et leurs évolutions, marquées par une grande pureté de mouvement. Le tout a l’air presque sorti d’un rêve. Comme souvent chez Robbins, le dessin tient de l’esquisse, justifiée ici par la nature du lieu. Carlos Guerra et Jennifer Carlynn Kronenberg ont non seulement la beauté de l’emploi, mais aussi le sens du texte. Ce qui se joue avec eux n’est pas un simple duo entre un homme et une femme, mais bien une rencontre sidérante, celle du danseur avec le miroir, invisible partenaire – et son seul véritable amour?

Tarantella est un pas de deux, régulièrement donné dans les galas, qu’on ne présente plus, une occasion presque indécente pour les danseurs les plus brillants de donner en spectacle leur virtuosité. Jeannette Delgado, tant par son physique solide et compact que par sa technique sans bavures, rappelle un peu Ashley Bouder ou Viengsay Valdès. Rien à dire, elle saute avec aisance et pirouette joyeusement, sans le moindre répit ni signe de faiblesse, un immense sourire aux lèvres pour couronner le tout. Kleber Rebello, un peu moins tonitruant, séduit sans doute davantage. Il ne cède rien à sa partenaire question brio et vélocité, mais le travail est plus en finesse, notamment dans les sauts, amples et déliés, et la petite batterie, dont on peut apprécier la propreté.

Ballet impérial est une apothéose en soi, conçu, à l’image de Diamants, Symphonie en ut ou Thème et variations, comme un hommage festif à Petipa, au ballet impérial et à la Russie perdue. Ce ballet, on l’a découvert dans ce même théâtre en 2005 interprété par le Mariinsky – un choc absolu pour les yeux et pour l’esprit. Il faut pourtant se résoudre ici à oublier Diana, Viktoria et les déesses de Saint-Pétersbourg aux lignes parfaites, tout autant que les pieds joliment travaillés de nos Parisiennes. Dans cet empire-là, les filles ont nom Mary Carmen ou Patricia, et le garçon s’appelle Renato… C’est un tout autre style, cela va sans dire, moins incroyablement majestueux et sophistiqué, plus direct, tranchant et énergique. De ce Ballet Impérial, Mary Carmen Catoya est une reine un brin austère, qui en impose par son élégance et sa technique acérée. Patricia Delgado, en irrésistible seconde, a le sourire lumineux et la danse épanouie. Quant à l’homme de ce sérail, Renato Penteado, on regrette de ne pas le voir davantage à l’oeuvre, car il a l’air d’être un sacré danseur. Le corps de ballet soutient jusqu’à la fin le rythme endiablé du ballet. Cette fois, la troupe est lancée, on attend la suite…

Mary Carmen Catoya, Renato Penteado, Ballet Impérial © Miami City Ballet