Xème Festival du Mariinsky (15-25 avril 2010) – Programme

15 avril
Anna Karénine – Première

Ballet en deux actes d’après le roman de Léon Tolstoï
Musique : Rodion Shchedrin
Chorégraphie : Alexeï Ratmansky
Directeur musical : Valéry Gergiev
Décors : Mikael Melbye
Vidéos : Wendall Harrington
Lumières : Jørn Melin
Conception dramatique : Martin Tulinius
Assistante du chorégraphe : Tatiana Ratmanskaya
Production de l’Opéra National de Pologne (Théâtre Wielki)

Anna Karénine : Diana Vichneva
Alexeï Karénine : Islom Baimuradov
Comte Vronsky : Konstantin Zverev
Princesse Shcherbatskaya (Kitty) : Evguénia Obraztsova
Stepan Oblonsky (Steve) : Dmitri Pikhachov
Daria Oblonskaya (Dolly) : Maya Dumchenko
Konstantin Levin : Filipp Stepin
Princesse Betsy : Sofia Gumerova

16 avril
Anna Karénine – Première

Ballet en deux actes d’après le roman de Léon Tolstoï
Musique : Rodion Shchedrin
Chorégraphie : Alexeï Ratmansky
Directeur musical : Valéry Gergiev
Décors : Mikael Melbye
Vidéos : Wendall Harrington
Lumières : Jørn Melin
Conception dramatique : Martin Tulinius
Assistante du chorégraphe : Tatiana Ratmanskaya
Production de l’Opéra National de Pologne (Théâtre Wielki)

Anna Karénine : Uliana Lopatkina
Alexeï Karénine : Sergueï Berezhnoï
Comte Vronsky : Yuri Smekalov
Princesse Shcherbatskaya (Kitty) : Svetlana Ivanova
Stepan Oblonsky (Steve) : Ruben Bobovnikov
Daria Oblonskaya (Dolly) : Yulia Kasenkova
Konstantin Levin : Alexeï Timofeev
Princesse Betsy : Alexandra Iosifidi

 

Alexei Ratmansky dirigeant une répétition d’Anna Karénine

17 avril
Roméo et Juliette

Ballet en trois actes et treize scènes
Musique : Sergueï Prokofiev
Chorégraphie : Léonide Lavrovsky (1940)
Livret : Andrian Piotrovsky, Sergueï Prokofiev, Sergueï Radlov et Léonide Lavrovsky, d’après la tragédie de William Shakespeare
Décors et costumes : Piotr Williams
Création : 11 janvier 1940, Théâtre Kirov, Léningrad

Juliette : Polina Semionova (Staatsballett Berlin)
Roméo : Vladimir Shklyarov
Tybalt : Ilya Kuznetsov
Mercutio : Alexandre Serguéïev

18 avril

La Bayadère

Centenaire de la naissance de Vakhtang Chabukiani
Ballet en trois actes
Musique : Ludwig Minkus
Chorégraphie : Marius Petipa (1877), révisée par Vladimir Ponomarev et Vakhtang Chabukiani (1941), avec des danses de Konstantin Sergueïev et Nikolaï Zubkovsky
Livret : Marius Petipa et Sergueï Khudekov
Décors : Mikhaïl Shishliannikov, d’après les décors d’Adolph Kvapp, Konstantin Ivanov, Piotr Lambin et Orest Allegri (production de 1900)
Costumes : Evguéni Ponomarev (production de 1900)
Lumières : Mikhaïl Shishliannikov
Création : 1877, Théâtre Bolchoï, Saint-Pétersbourg

Nikiya : Viktoria Tereshkina
Solor : Igor Zelensky
Gamzatti : Anastasia Matvienko

La Bayadère

19 avril
Carmen Suite – Etudes – Apollon

Carmen Suite – Première

Musique : Georges Bizet – Rodion Shchedrin
Chorégraphie : Alberto Alonso
Chorégraphe  de la production : Viktor Barykin
Décors : Boris Messerer

Carmen : Uliana Lopatkina
Jose : Danila Korsuntsev
Torero : Evguéni Ivanchenko

Etudes – Première d’une nouvelle version de la production

Musique : Carl Czerny
Arrangements : Knudege Riisager
Chorégraphie : Harald Lander (1948), remontée par Johnny Eliasen
Lumières : Alexander Naymov
Première : 15 janvier 1948, Ballet Royal du Danemark, Théâtre Royal, Copenhague,
Première au Théâtre Mariinsky : 18 avril 2003
Première de la nouvelle version : 27 février 2010

Avec Alina Somova, Filipp Steppin, Denis Matvienko, Alexandre Serguéïev

Apollon

Ballet en deux scènes
Musique : Igor Stravinsky (Apollon musagète)
Chorégraphie : George Balanchine (1928)
Livret : Igor Stravinsky
Version montée par Francia Russell
Décors et lumières originaux : Ronald Bates
Lumières : Vladimir Lukasevitch
Première mondiale : 12 juin 1928, Les Ballets Russes de Serge de Diaghilev, Théâtre Sarah Bernhardt, Paris
Première au Théâtre Mariinsky : 30 avril 1998

Apollon : Andrian Fadeev
Terpsichore : Anastasia Matvienko
Polymnie : Irina Golub
Calliope : Yana Selina

Uliana Lopatkina, Carmen Suite

20 avril
Giselle

Centenaire de la naissance de Tatiana Vecheslova

Ballet fantastique en deux actes
Musique : Adolphe Adam
Chorégraphie : Jean Coralli, Jules Perrot et Marius Petipa
Livret : Vernoy de Saint-Georges, Théophile Gautier et Jean Coralli
Décors : Igor Ivanov
Costumes : Irina Press
Consultant pour la reconstruction de la production (1978) : Yuri Slonimsky

Giselle : Natalia Osipova (Ballet du Bolchoï)
Albrecht : Léonide Sarafanov
Hans : Ilya Kuznetsov
Myrtha : Ekaterina Kondaurova

21 avril
Le Lac des cygnes

Ballet fantastique en trois actes et quatre scènes
Musique : Piotr Tchaïkovsky
Chorégraphie : Marius Petipa et Lev Ivanov (1895), révisée par Konstantin Serguéiev (1950)
Livret : Vladimir Begichev et Vassili Geltzer
Décors : Igor Ivanov
Costumes : Galina Soloviova
Création : 20 février 1877, Théâtre Bolchoï, Moscou (chorégraphie de Julius Reisinger)
Création à Saint-Pétersbourg: 15 janvier 1895, Théâtre Mariinsky  (chorégraphie de Lev Ivanov et Marius Petipa)
Version de Kontantin Serguéïev : 8 mars 1950, Théâtre Kirov, Léningrad

Odette-Odile : Svetlana Zakharova (Ballet du Bolchoï)
Siegfried : Andreï Uvarov (Ballet du Bolchoï)
Rothbart : Konstantin Zverev
Les Amis du Prince : Yana Selina, Valeria Martiniuk, Maxim Zyuzin
Le Bouffon : Grigory Popov

22 avril
Giselle
(Mats Ek)

Ballet en deux actes
Chorégraphie : Mats Ek
Musique : Adolphe Adam
Décors et costumes : Marie-Louise Ekman
Lumières : Jorgen Jansson
Chorégraphes – Assistants de la production : Ana Laguna, Monica Mengarelli
Décors – Assistant de la production : Peter Freiij
Costumes – Assistant de la production : Katrin Brännström

Ballet de l’Opéra de Lyon, dir. Yorgos Loukos

Giselle (Mats Ek)

23 avril
Soirée « Jeunes Chorégraphes » – Smekalov / Faski / Liang

Factory Bolero – Première

Musique : Maurice Ravel
Chorégraphie : Yuri Smekalov
Technical Designer : Alexander Letsius
Costumes : Tatiana Noginova
Lumières : Kamil Kutyev

Avec Viktoria Tereshkina
Anton Korsakov, Karen Ioannissian,
Alexander Sergueïev, Konstantin Zverev, Maxim Zyuzin,
Anton Pimonov, Danila Korsuntsev

Simple Things – Première

Musique : Arvo Pärt
Chorégraphie : Emil Faski
Costumes : Jérôme Marchand
Lumières : Vladimir Lukasevitch

Avec Ekaterina Kondaurova
Maxim Zyuzin, Anton Pimonov, Alexeï Timoféïev,
Fyodor Murashov, Ilya Petrov, Rafael Musin,
Vassili Tkachenko

Flight of Angels – Première

Musique : Marin Marais, John Taverner
Chorégraphie : Edwaard Liang

Avec Olesia Novikova et Léonide Sarafanov
Margarita Frolova, Anastasia Mikheikina,
Olga Gromova,
Kirill Safin, Ilya Levai, Filipp Stepin, Oleg Demchenko

24 avril
La Belle au bois dormant

Ballet-féerie en trois actes avec un prologue et une apothéose
Musique : Piotr Tchaïkovsky
Chorégraphie : Marius Petipa, révisée par Konstantin Serguéïev (1952)
Livret : Ivan Vsevolozhsky, Marius Petipa, d’après les contes de Charles Perrault
Décors et costumes : Simon Virsaladze
Création : 3 janvier 1890, Théâtre Mariinsky, Saint-Pétersbourg
Version révisée par Serguéïev : 25 mars 1952, Théâtre Kirov, Léningrad

Aurore : Alina Somova
Désiré : David Hallberg (ABT)
La Fée des Lilas : Daria Vasnetsova
La Fée Diamant : Valeria Martiniuk
La Princesse Florine : Oxana Skorik
L’Oiseau bleu : Maxim Zyuzin

25 avril

Gala-concert

Immortal Beloved

Musique : Philip Glass
Chorégraphie : Edwaard Liang
Décors et lumières : Edwaard Liang
Costumes : Yana Serebryakova
Directeur musical : Alexandre Novikov

Avec Igor Zelensky, Anna Zharova, Natalia Yershova, Elena Lytkina et les artistes du Ballet de Novossibirsk

Rubis
Musique : Igor Stravinsky
Chorégraphie : George Balanchine
Version montée par Karin von Aroldingen, Sarah Leland, Elyse Borne et Sean Lavery
Scénographie : Sean Lavery (1967)
Costumes : Karinska (1967)
Recréations des costumes supervisée par Holly Hines
Lumière originale : Ronald Bates
Lumière : Perry Silvey
Première mondiale : 13 avril 1967, New York City Ballet, New York State Theater
Première au Théâtre Mariinsky : 30 octobre 1999, Saint-Pétersbourg

Avec Hélène Bouchet (Ballet de Hambourg), Andrian Fadeev, Ekaterina Kondaurova

Divertissement

Scènes et pas de deux tirés de ballets et de compositions chorégraphiques

Avec Alina Cojocaru (Royal Ballet Covent Garden),
Uliana Lopatkina, Irma Nioradze,
Viktoria Tereshkina,
Ekaterina Kondaurova, Olesia Novikova
David Hallberg (American Ballet Theatre),
Martin Vedel (Béjart Ballet Lausanne),
Denis Matvienko, Léonide Sarafanov, Ilya Kuznetsov,
Vladimir Shklyarov

Igor Zelensky, Immortal Beloved

Paris (Châtelet) – Tournée du Ballet de Hambourg – Mort à Venise

Mort à Venise (John Neumeier)
Ballet de Hambourg
Paris, Théâtre du Châtelet
16 avril 2008
19 avril 2008 (matinée)

Précédé par le récit de Thomas Mann et le film de Luchino Visconti, le ballet de John Neumeier s’affiche d’emblée comme porteur d’un lourd héritage, et l’on comprend sans peine que le chorégraphe, qui s’est toujours passionné pour les figures mythiques de la littérature, ait choisi d’apposer en sous-titre à son œuvre les mots suivants: « Une danse macabre de John Neumeier, librement inspirée de la nouvelle de Thomas Mann ». Si Neumeier reprend l’intrigue vénitienne qui est au cœur du livre et du film, prétexte à réflexion sur la beauté et la mort, il choisit néanmoins, et avec raison, de la revisiter à la lumière de ses propres obsessions, plutôt que d’en donner une lecture littérale. Ainsi l’écrivain vieillissant Gustav von Aschenbach devient ici un chorégraphe réputé et en proie au doute, qui travaille, lorsque le rideau s’ouvre, à un ballet ayant pour sujet le roi Frédéric II de Prusse, dont un portrait orne la scène. Tel est le point de départ (qui constitue une bonne partie de l’acte I) et l’histoire-cadre de cette Mort à Venise. L’image d’un théâtre à l’italienne au fond de la scène, placé au-delà du miroir de la salle de danse, nous rappelle, dans un effet de mise en abîme, un thème cher à Neumeier, qui traverse nombre de ses ballets (Illusions – Comme Le Lac des cygnes, La Dame aux camélias…). Le monde est un théâtre, la vie est un songe…

C’est dans cet autoportrait détourné (et dévoyé ?) du créateur (qu’il serait cependant réducteur et peu intéressant de limiter à Neumeier lui-même, « Madame Bovary, c’est moi », oui, et alors ?…) que l’œuvre offre le plus d’intérêt, tout en conservant un lien spirituel avec sa source (le héros de Thomas Mann est lui aussi un artiste). On voit ainsi le chorégraphe se confronter à sa création, au travers de ses danseurs, dans un rapport conflictuel de fascination, d’exaspération et de haine, mais aussi à sa propre image, dans une relation narcissique exacerbée, sinon triviale, du moins sans complaisance. La vision est d’ailleurs proche, parfois, de la caricature ou de la satire, lorsqu’on voit les interprètes du rôle, Lloyd Riggins et Ivan Urban, interprètes à la beauté glaciale et impénétrable, prendre la pose lors d’une séance photographique, ou se faire materner par une assistante rigide et robotique, interprétée par Laura Cazzaniga. Dans le rôle d’Aschenbach chorégraphe, Lloyd Riggins, déjà inscrit dans une forme de tragédie, paraît plus fragile qu’Ivan Urban, qui donne une dimension d’invulnérabilité presque diabolique à son personnage à ce moment-là du ballet. Si Ivan Urban a ma préférence dans le rôle d’Aschenbach (sa danse est également diaboliquement spectaculaire), les interprètes des figures sorties de son imagination ont davantage convaincu dans la première distribution : Hélène Bouchet dans le rôle de la Barbarina (plutôt qu’en « concept »), Ivan Urban en Frédéric II, et surtout le merveilleux couple composé de Silvia Azzoni et Alexandre Riabko (extraordinaire danseur) en « concepts ». Le corps de ballet, de grande qualité, est également mis à contribution dans ce premier tableau qui semble quelque peu interminable, mais qui offre, conformément à la logique de l’intrigue et des personnages, le moment le plus riche et le plus raffiné (entre académisme classique et portés audacieux) du spectacle, en matière de chorégraphie.

Ivan Urban, Lloyd Riggins, Hélène Bouchet © Ballet de Hambourg

L’œuvre bascule lorsqu’à la partition de L’Offrande Musicale de Jean-Sébastien Bach succèdent les mesures de Tristan et Isolde. C’est là qu’apparaît un couple de danseurs (en réalité un personnage dédoublé), créatures au sex-appeal amplement souligné, en jeans et lunettes d’aviateur, qui entraînent le héros épuisé vers Venise… Cette vision quelque peu triviale, dont on ne sait sur quel plan elle se situe (est-ce un fantasme ou une réalité ?) et qu’on retrouvera plus loin au travers d’autres figures, semble un prétexte un peu maladroit (par son anachronisme notamment) et stéréotypé pour introduire, outre le thème de l’homosexualité, le périple vénitien et justifier le titre du ballet. Que dire ensuite de l’apparition symbolique des Gondoliers – vêtus de petits pulls marins barrés d’une ancre -, interprétés par les mêmes danseurs (Carsten Jung/Amilcar Moret Gonzalez dans la première distribution, Carsten Jung/Stefano Palmigiano dans la seconde), qui signalent avec lourdeur (et un comique sûrement involontaire) que l’action se déroule désormais à Venise… L’utilisation des clichés n’est probablement pas innocente chez un chorégraphe aussi cultivé que Neumeier, mais on peine franchement à en percevoir la portée, du moins au-delà de l’illustration du récit… La gondole, métaphore de la barque de Charon conduisant Aschenbach vers la mort ? Certes, mais le symbole n’est guère perceptible au premier abord et sa mise en place n’est pas non plus une grande réussite esthétique pour un chorégraphe qu’on connaît plus subtil et imaginatif…

Deux tableaux vénitiens stylisés, situés entre la fin de l’acte I et le début de l’acte II, jouant à la fois sur l’effet de pittoresque et le symbolisme, juxtaposent une scène d’intérieur (à l’Hôtel des Bains) et une scène d’extérieur (sur la plage du Lido). Ils placent ainsi au cœur du ballet la rencontre avec Tadzio. Au monde figé, glacial de la société vénitienne, particulièrement bien rendu par un corps de ballet qui ressemble à une gravure de mode (on pourrait en dire autant des solistes de Hambourg, tous plus plastiquement parfaits les uns que les autres, sans être jamais des clones) s’opposent le naturel et la spontanéité des enfants jouant sur la plage, libérés des carcans sociaux. Découpage simple, évocateur et approprié au ballet qui a besoin d’effets dramaturgiques de ce type pour être lisible. Décor minimaliste, symbolique, avec ce côté bleu maritime aseptisé, tant affectionné par Neumeier, qui date déjà un peu. Les deux distributions présentent deux Tadzio aussi différents que possible. Edvin Revazov, qui a créé le rôle, a un visage angélique qui peut évoquer le Tadzio de Visconti, mais son physique impressionnant ne possède pas la juvénilité dégagée par Arsen Megrabian, plus énergique dans sa danse, plus convaincant sur le plan dramatique aussi, même si son personnage semble plus naïf ou moins complexe. Neumeier donne toutefois de Tadzio une vision presque déréalisée: lui aussi est un « concept », une « volonté » et une « représentation » du héros Aschenbach, dont la subjectivité apparaît finalement comme le sujet central du ballet. On a d’ailleurs l’impression, à cet égard, que Tadzio n’a presque rien à danser, ou du moins qu’il n’est pas valorisé au travers de la chorégraphie réglée pour lui… Si le pas de deux entre Lloyd Riggins et Edvin Revazov m’a laissée plutôt indifférente lors de la première (il est vrai que l’ « affaire du pantalon déchiré » de Lloyd Riggins avait vraiment de quoi déstabiliser le spectateur), celui entre Ivan Urban et Arsen Megrabian dégageait en revanche beaucoup d’émotion et d’intensité, tout comme celui du dénouement. Dans le rôle solaire de la mère de Tadzio, Laura Cazzaniga, majestueuse, presque surnaturelle, évolue telle une vision de cinéma. On aurait aussi aimé voir la sublime Anna Polikarpova dans le rôle… Enfin, dans le rôle de Jaschu, l’ami de Tadzio, on aura peut-être davantage apprécié Yohan Stegli, enjoué et virtuose, au même Arsen Megrabian, un peu plus terne aux côtés d’Edvin Revazov. Toutefois, les personnages secondaires, brèves apparitions dans le ballet, restent tous assez inconsistants sur le plan dramatique. L’action comme la chorégraphie ont pour point de résonance le seul Gustav von Aschenbach, rôle écrasant pour une figure omniprésente.

Arsen Megrabian, Edvin Revazov © Ballet de Hambourg

En marge de ces tableaux, les maladresses ou les lourdeurs demeurent, notamment dans la représentation de ce qu’on peut interpréter comme les fantasmes dionysiaques de Gustav von Ashenbach. Ceux-ci fonctionnent en opposition avec la quête d’une beauté apollinienne, quête située au cœur du ballet, dont rend compte l’attirance du héros pour Tadzio. Les clichés s’accumulent alors : homosexuels qui évoquent sur un mode exclusivement grotesque les salons aristocratiques « fin-de-siècle », bacchanale aux créatures vêtues de peaux de tigre, s’agitant dans les poses les plus convenues, jusqu’à la cabine de plage qui se retourne sous l’effet des saillies successives de ses participants, fantasme adolescent du groupe de rock à guitares et au maquillage outrancier, coiffeurs-esthéticiens pervers (bien que cette scène, impeccablement interprétée, m’ait plu lors de la deuxième représentation)… Là encore, les poncifs sont trop gros pour être honnêtes ou tout du moins inconscients. Pourtant, rien dans la construction narrative du ballet ne permet vraiment de les mettre en perspective et de les situer sur un autre plan – fantasmatique notamment – que l’intrigue « réaliste » vénitienne. Si ces tableaux sont avant tout symboliques, le ballet manque là son effet, tant la vision qu’ils développent en paraît vieillie. Difficile en effet d’adhérer au spectacle lorsqu’il sombre dans une trivialité aussi premier degré, déjà d’un autre âge… Venise, décor lointain du ballet, ne peut-elle engendrer que des visions de carte postale un peu jaunie?…

Si la préparation du dénouement (l’épidémie de choléra, le renoncement d’Aschenbach au Grand Œuvre) est amenée de manière assez brutale et artificielle, le pas de deux final, « presque rien » chorégraphique, loin de toute pompe et de tout maniérisme déplacé (il est vrai que la musique de la « Mort d’Isolde » dans la transcription pour piano de Franz Lizst se suffit à elle-même et n’a pas besoin d’être surinvestie de significations) trouve une force et une ampleur remarquables dans l’interprétation inspirée qu’en donnent Ivan Urban et Arsen Megrabian, particulièrement fusionnels. Le foisonnement qu’inspire le ballet, visible notamment au travers d’un corps de ballet très présent, laisse finalement la place à une sobriété pleine d’humanité.

Lloyd Riggins, Edvin Revazov © Ballet de Hambourg

Malgré les réserves que l’on peut émettre sur cette Mort à Venise, qui n’enlève rien au demeurant au talent de John Neumeier, dont ce n’est probablement pas là le meilleur ballet, on reste stupéfait de voir que le Théâtre du Châtelet, faute semble-t-il d’une politique de communication efficace (et que l’on ne constate pas aujourd’hui) ne puisse pas remplir de manière décente la salle pour la venue du Ballet de Hambourg à Paris… Ce n’est pas, encore une fois, à la gloire d’une ville qui n’est plus mère des arts depuis bien longtemps…

En complément :

Sur le site du Ballet de Hambourg, le synopsis de « Mort à Venise »