Paris, Théâtre National de Chaillot
Festival Flamenco
Ballet Flamenco Eva Yerbabuena, Santo y Seña
Merche Esmeralda, Belén Maya, Rocio Molina et Diana Navarro (chanteuse invitée), Mujeres
Javier Baron, Dos Voces Para Un Baile
9, 18, 19 avril 2008
A Chaillot, le flamenco dans tous ses éclats…
En ce mois d’avril, la salle Jean Vilar du Théâtre National de Chaillot accueillait son festival flamenco, désormais saisonnier, pour une série de représentations réunissant quelques grands noms du flamenco d’aujourd’hui – chanteurs, musiciens ou danseurs -. Une telle manifestation, qui se déroule sur près de deux mois, et dont le succès ne paraît pas se démentir au fil des années, signe la juste reconnaissance de cet art sur un plan international, en même temps qu’elle en montre la diversité et le renouvellement.
Le festival de cette année s’ouvrait sur une affiche grandiose, avec l’une des « divas » de la scène actuelle, Eva Yerbabuena, et sa dernière création, Santo y Seña. Conjuguant dépouillement et sophistication, simplicité et raffinement, le ballet de « la Yerbabuena » fait alterner ses propres solos avec des ensembles réunissant trois ou quatre danseurs, archétypes d’hidalgos andalous tels qu’on se plaît à les imaginer, pourtant réduits au rôle de faire-valoir de cette reine solitaire. Rien ne semble laissé au hasard, ou à l’improvisation, dans ces tableaux réglés à la perfection, où notre héroïne, danseuse et chorégraphe, déploie avec grâce toute son impressionnante virtuosité, visible notamment dans un travail de pieds – le fameux zapateado – précis et véloce, ou dans une éblouissante danse du châle, la mirabras « Espumas del recuerdo ». Dans une succession de costumes inoubliables – un régal pour les yeux -, propres à suggérer toute la palette de sentiments que mêle l’art flamenca, Eva flamboie jusqu’à l’incandescence, offre ce spectaculaire exaspéré que le public attend, mais ne se livre pas. Tout est parfait, un peu trop sans doute…
Merche Esmeralda, Belén Maya, Rocio Molina, ou trois générations de danseuses réunies pour Mujeres, un gala flamenca qui constituait la seconde affiche danse du festival. Trois styles distincts aussi, pour offrir un spectacle probablement plus généreux que celui de la Yerbabuena, mais aussi plus inégal. Accompagnées chacune d’un cantaor (ou d’une cantaora) et d’un guitariste, les trois danseuses évoluent successivement dans des solos, des duos ou encore des ensembles. Si les démonstrations vocales de la chanteuse invitée Diana Navarro, lorgnant un peu trop vers le clinquant de la variété, auraient pu être aisément évitées, au sein du trio de bailaoras, Rocio Molina, la plus jeune, avec son physique austère et puissant, séduit paradoxalement et affiche la personnalité la plus originale et la plus digne d’intérêt. Elle offre un flamenco étrange, loin des clichés, presque spirituel, comme détaché de sa gangue terrestre. Son solo dans la seguiriya « Apasionada » restera comme le grand moment du spectacle, avant la caracol, « Viva Madrid », où toutes trois se retrouvent pour un final bouillonnant et festif.
Javier Baron clôturait ce premier volet de la saison flamenco de Chaillot, avec le solo Dos Voces Para Un Baile. Deux dates pour un spectacle rare et hypnotisant, sorte de contrepartie idéale au flamboiement de la Yerbabuena. Deux voix, deux guitares, deux « paumes » pour un seul homme, plongé dans une presque obscurité. Véritable « danseur des solitudes », Javier Baron livre là un flamenco sombre, âpre et primitif, où le geste est constamment retenu. Jamais en effet le bailaor ne cherche à plaire ou à séduire, jamais il ne sombre dans l’effet conventionnel ou esthétique. La scène devient alors l’agôn, le lieu d’un combat solitaire, d’un combat contre soi-même. L’ego disparaît, et la transe advient, pure et intacte. Rien de plus complexe que la simplicité.
Article publié dans DLM, n°72.